Archives de Catégorie: Théorie

L’oligarchie : Better dead than red ?

« Ce n’est pas le locataire du sixième qui est antifasciste, c’est le fascisme qui est anti-locataire du sixième. » Gabriele dans Une journée particulière (Ettore Scola, 1977)

Si j’évoque la célèbre réplique de Marcello Mastroianni à Sophia Loren, ce n’est pas pour évoquer la tradition homophobe des mouvements fascistes. Pourtant, c’est une tradition qui fait froid dans le dos. Himmler, par exemple, déplorait qu’on débusque chaque année dans la Waffen SS une poignée de ces « dégénérés », et avait à cœur de l’en débarasser :

« Aujourd’hui encore, il se présente tous les mois un cas d’homosexualité dans la SS. Nous avons de huit à dix cas par an. J’ai donc décidé la chose suivante : dans tous les cas, ces individus seront officiellement dégradés, exclus de la SS et traduits devant un tribunal. Après avoir purgé la peine infligée par le tribunal, ils seront internés sur mon ordre dans un camp de concentration et abattus pendant une « tentative d’évasion ». Dans chaque cas, le corps d’origine de cet individu en sera informé sur mon ordre. J’espère ainsi extirper ces gens de la SS – jusqu’au dernier. Je veux préserver le sang noble que nous recevons dans notre organisation et I’oeuvre d’assainissement racial que nous poursuivons pour l’Allemagne. » Discours d’Heinrich Himmler prononcé le 18 février 1937.

L’homophobie, quoi qu’on puisse dire, est comme toute autre forme de discrimination un des oripeaux funestes du fascisme. Être homophobe, c’est en assumer l’héritage idéologique. Nul ne peut aujourd’hui nier sans malhonnêteté que la « manif pour tous », cette manif de la honte, est une démonstration fasciste. J’emploie le terme à dessein. On ne peut plus y voir un simple rassemblement de droite conservatrice, ni même d’extrême-droite. Ce qui se joue sous nos yeux, c’est l’agglomération de courants réactionnaires qui ne se parlent pas « en temps normal ». En temps normal, c’est à dire dans les conditions « normales » de l’exploitation capitaliste, les « cols Claudine » et les nostalgiques du IIIème Reich ne se fréquentent pas, pas du même monde. La seule chose à même de les réunir, c’est l’émergence d’intérêts convergents issus d’une crise du système.

« Plutôt Hitler que le Front Populaire », « Better dead than red », ces mots d’ordre éternels de la bourgeoisie réactionnaire résument ce qu’est le socle de la pensée fasciste : l’anticommunisme et plus généralement l’opposition à toute pensée progressiste. La bourgeoisie au pouvoir se fiche pas mal de la corruption de l’État : elle en est la bénéficiaire. Ce qui l’inquiète, c’est la fragilisation du système par les contestations populaires que cette corruption engendre. Il y a donc convergence d’intérêts dans l’objectif d’étouffer la contestation. C’est le sens de la phrase de Mastroianni. Affirmer nos prétentions d’émancipation, c’est ce qui réveille les loups. On a rarement vu quiconque abandonner un pouvoir sans y avoir été préalablement forcé, et les organisations fascistes ne sont rien de plus que le rempart idéologique (voire armé) d’une bourgeoisie qui, préoccupée par l’urgence de sa propre conservation, a tombé les masques.

Le drapeau rouge sur le Reichstag, voilà leur crainte.

Le drapeau rouge sur le Reichstag, voilà leur crainte.

Quand les éditocrates nous reprochent, par notre appel à une VIème République, de « faire le jeu du Front National », il s’agit là d’une théorie qui dépasse de loin les simples comptes d’apothicaires électoraux. Ce qu’on nous reproche, en fait, c’est d’éveiller la conscience de classes. Le raisonnement est d’une perversité rare. En effet, en l’absence de conscience de classe chez les opprimés, la domination de classe est aisément organisée par les partis « classiques » de l’oligarchie. C’est l’éveil à cette conscience des classes qui provoque la guerre de classes, et dans cette lutte, la bourgeoisie se tourne vers les organisations en mesure de « verrouiller » le système, c’est à dire les organisations fascistes.

Le rôle de ces organisations est de disqualifier notre discours, et nous connaissons leurs méthodes. J’en retiens principalement deux. La première consiste à organiser un climat délétère fait de violences, soit pour nous intimider (les méthodes classiques du GUD), soit carrément pour nous en accuser (l’incendie du Reichstag). Pour cela, rien de plus simple. Il suffit de jouer sur la peur de l’autre et la transformer en haine. Les fascistes organiseront donc la stigmatisation des juifs, des roms, des homosexuels etc. afin d’ouvrir le champ à la violence.

GUD, tu es mon ennemi.

GUD, tu es mon ennemi.

La seconde méthode, plus sournoise, relève de la bataille culturelle. Quand Christine Boutin reprend le slogan du Front de Gauche : « On lâche rien ! », je ne peux m’empêcher de penser au Maréchal Pétain qualifiant la République d’Ancien Régime. Retournement sémantique utilisé aussi dans l’expression « Révolution Nationale », quand le régime de Vichy était en réalité synonyme de contre-révolution. De même, quand Frigide Barjot parle de déni de démocratie, c’est en réalité son camp qui refuse le processus démocratique. La récupération terminologique n’est pas innocente. Il s’agit de créer un amalgame, de masquer les profondes différences idéologiques entre le camp du progrès et celui de la réaction. En nous disputant jusqu’à nos propres mots, nos adversaires empêchent le développement et la diffusion de nos idées.

Voilà donc ce que nous promettent ceux qui prétendent que nous faisons le jeu de l’extrême-droite. Comme dit le proverbe, « quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage », et ce discours est bel et bien celui de ceux qui sont conscients de la honte de leur compromission. Ils veulent nous faire croire que nous les poussons au fascisme par notre refus de l’aliénation de classes, mais nous savons qu’ils se jettent dans les bras de cette idéologie funeste par haine de la classe ouvrière et de sa volonté d’émancipation.

Bonus musical : Les Béruriers Noirs – Porcherie

Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Ding Dong The Witch Is Dead…

Ça faisait longtemps que je souhaitais publier un article sérieux et sans mots grossiers. Alors j’en ai confié la tâche à mon copain Pierre. Il s’en tire avec brio même si quelques grossièretés persistent : Thatcher, Reagan, Le Pen… Bref, je lui cède la parole et le remercie sincèrement pour ce super boulot.

À tous les Étienne Lantier,

Il y a de ça une semaine mourait Margaret Thatcher. Un ami me demandait encore aujourd’hui ce qu’on pouvait en penser, tant les avis exprimés lors de son décès ont été divers et bien souvent diamétralement opposés. De cela, nous ne sommes pas étonnés. Nous savons depuis longtemps que la lecture du monde est question d’idéologie. Et parce que nous savons de quel côté nous sommes, nous savons quoi en penser. Et puisqu’il est l’heure des funérailles, nous savons qu’il est également temps de solder l’héritage.

De celle qui fût la première dirigeante des Tories ainsi que la première – et pour l’instant la seule – femme à occuper le poste de Premier Ministre du Royaume-Uni, beaucoup a donc été dit. Certains ont voulu en faire un symbole. Étonnamment, ceux qui mettent en avant le fait que Thatcher était une femme pour la célébrer ne sont pas forcément ceux qui portent le plus le féminisme dans leur cœur. Mais c’est après tout fort logique, de la part des laudateurs de celle qui déclara que « le féminisme est un poison », et qui passa son temps à « essentialiser » les femmes, elles à qui il faudrait confier une tâche si l’on veut être certain qu’elle soit menée à bien. Elle qui interdit également toute « publicité » de l’homosexualité

Que retenir de Margaret Thatcher donc ? Qu’elle fut l’incarnation même, comme Ronald Reagan outre-Atlantique, du virage néo-libéral qui s’est étendu sur les grandes puissances capitalistes au cours des années 80. Probablement personne n’a mieux qu’elle semblé incarner une idéologie au sein de la deuxième moitié du XXème siècle. L’incarner avec force, constance et fierté. Quand elle arrive au pouvoir en 1979, Thatcher est investie d’un mandat précis : en finir avec l’État et tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la protection sociale. Force doit rester à l’entreprise et à l’économisme : la gestion comptable prime sur tout autre aspect. Fini le conservatisme tranquille à la papa. Le Royaume-Uni doit changer, et ce, dusse-t-il se transformer en champ de ruines.

Son programme libéral, Margaret Thatcher va l’appliquer sans en démordre. Privatisations massives, coupes dans les budgets sociaux, réforme de la City accompagnant la libéralisation de l’industrie financière… Thatcher n’a cure des protestations et des syndicats. C’est même pire que cela : elle sait qu’il faut, pour accompagner la désindustrialisation massive du Royaume-Uni, détruire les organisations ouvrières héritées de dizaines d’années de luttes. Comme Ronald Reagan en 1981 avec les contrôleurs aériens, elle va donc engager une lutte à mort avec l’un des plus grands symboles de l’histoire ouvrière : les syndicats de mineurs.

minersstrike

Manifestation de soutien aux mineurs

Elle va donc annoncer la fermeture prochaine de vingt mines déficitaires, coïncidant avec la suppression de 20 000 postes. Et faire durer la grève. Le syndicat des mineurs, la National Union of Mineworkers (NUM), est rejoint par d’autres syndicats, notamment de dockers. Les ports se retrouvent totalement paralysés. Elle va alors menacer d’employer l’armée contre les dockers, rendre illégale les grèves de soutien aux mineurs, les piquets de grève devant les entrées d’usines… La police est employée pour empêcher les grévistes d’aller convaincre leurs collègues des autres mines de les rejoindre. La NUM se retrouve ainsi coupé de ses soutiens potentiels. En criminalisant l’action des mineurs, en la faisant durer le plus possible, elle joue la carte de la division au sein des mouvements ouvriers. Le parti travailliste s’éloigne des syndicats, la NUM se retrouve isolé, puis voit ses avoirs gelés, et, le temps passant, les travailleurs des puits non directement menacés de fermeture reprennent le travail.

Thatcher va également jouer la carte du pourrissement au sein même des collectivités de mineurs des puits. En laissant durer, en criminalisant la grève (il y aura plus de 11 300 arrestations), en faisant intervenir très régulièrement les forces de police, notamment pour escorter les non-grévistes jusqu’aux puits, elle sait qu’elle va durablement diviser les mineurs. Quand les derniers puits reprennent le travail, un an après le début de la grève, les mineurs n’ont rien obtenu. Leur syndicat est en lambeaux, le Labour a pris ses distances d’avec les syndicats, qui ne sont plus soutenus par l’opinion publique. Et plus que tout, c’en est fini des communautés de mineurs et de tout ce qu’elles représentaient. Ces hommes et ces femmes, qui avaient été parmi les premiers outre-Manche à mettre en place des mutuelles en prélevant sur leurs salaires, des lieux communs, qui avaient pris conscience de leurs intérêts de classe communs et de la nécessité de l’organisation pour leur défense, vont peu à peu disparaître du paysage économique et historique britannique.

Résultat de la politique thatcherienne ? Une production manufacturière qui ne retrouvera son niveau de 1979 qu’en 1990… année de son départ. Des régions entières minées par le chômage et tous les problèmes qui peuvent en découler (toxicomanie quasi épidémique, etc.). Une génération de jeunes chômeurs qui se dirigera en partie vers des groupuscules d’extrême-droite, notamment autour de la mouvance skinhead, qu’elle récupère à cette époque. Des inégalités qui augmentent massivement. Des services publics privatisés et dont la qualité du service s’est énormément dégradée.

Et cette politique jusqu’au-boutiste, Thatcher va la montrer également sur l’international, renouant avec un impérialisme décomplexé. La guerre coloniale des Malouines fera pratiquement 300 morts dans les rangs britanniques. Elle fera partie de ceux qui pousseront George Bush à la plus grande fermeté à l’égard de l’Irak après l’invasion du Koweit. Et surtout, elle se montrera sans pitié à l’égard des prisonniers nord-irlandais en grève de la faim pour exiger le statut de prisonnier politique. Dix d’entre eux mourront à Long Kesh dans l’indifférence la plus totale de la « Dame de Fer ».

BobbySands

Bobby Sands, un des dix irlandais morts à Long Kesh

Finalement, Margaret Thatcher sera contrainte par son propre parti de quitter le pouvoir. L’instauration de la poll tax, un impôt immobilier particulièrement injuste puisque sa valeur est la même pour tous, quels que soient le revenu et le capital, sera la goutte de trop. Face au mécontentement populaire, le parti conservateur la contraint à démissionner au profit de John Major.

La période Thatcher laissera cependant une profonde trace au Royaume-Uni. Non seulement, comme on l’a vu, sur le plan économique, mais également sur le plan politique. Le mouvement social organisé autour des syndicats ne s’en relèvera pas. C’est à peine s’il commence à renaître de ses cendres, notamment autour d’associations plus ou moins « apolitiques » et décentralisées. Le parti travailliste s’en est quant à lui durablement éloigné. Confronté au profond glissement à droite de la politique britannique, il finira par s’en accommoder dans l’espoir de retrouver le pouvoir. Tony Blair incarnera ce New Labour de l’aggiornamento, qui théorise une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, désormais considéré comme une volonté de lutter contre des « injustices sociales », et non plus un horizon à atteindre.

On raconte d’ailleurs que, lorsqu’on lui a posé la question de savoir ce dont elle était la plus fière, Thatcher aurait répondu « Anthony Blair ». Que l’anecdote soit apocryphe ou pas, peu importe. Reste cette constatation : la transformation radicale de la société a disparu du champ idéologique du principal parti de « gauche » britannique. Qui n’a fait que poursuivre le travail de libéralisation économique de la société entamé par Thatcher.

L’erreur fondamentale serait cependant de ne considérer l’héritage de Thatcher que sous un angle britannique. Si elle fut peut-être la meilleure représentante du néo-libéralisme et de l’impérialisme, elle incarne justement toute une vague qui s’abattit sur le monde occidental de dirigeants européens prêts à tout pour venir à bout des acquis ouvriers et pour accompagner le mouvement de désindustrialisation. Il faut se rappeler qu’à l’époque, Jacques Chirac comme Jean-Marie Le Pen revendiquaient leur proximité avec Ronald Reagan, pendant viril du tandem anglo-américain. Nous ne serons donc pas étonnés du communiqué du FN à propos du décès de Thatcher, louant sa politique libérale et son « anti-européisme ».

Il faudrait en effet n’avoir que peu de mémoire pour voir dans le FN un opposant à la politique thatchérienne. Il faudrait oublier qu’elle fût une amie proche de Pinochet, qui mit en place au Chili sous la dictature les mêmes politiques théorisées par Milton Friedman. Oublier qu’elle a soutenu le régime d’apartheid face à l’ANC et à Nelson Mandela qu’elle qualifia de terroriste. Ce serait oublier que le capitalisme s’accommode très bien de la dictature quand cela lui est nécessaire. Et que l’extrême-droite, elle, est une composante assumée des forces capitalistes. Il serait également étonnant de ne pas voir que Thatcher et sa politique restent un modèle pour certains. On s’en réclame d’ailleurs en Corée du Sud… Il faudrait ne pas voir le parallèle entre la grande grève des mineurs britanniques et la grève des mineurs espagnols : des hommes et des femmes qui se battent pour défendre leur emploi, leurs mines et toute l’économie de leur région. Des hommes et des femmes criminalisés, auxquels on oppose les forces de l’ordre, et parmi lesquels on attend tranquillement que des dissensions se fassent sentir. Comment ne pas voir que quand on réprimait les manifestations de mineurs avec la police montée au Royaume-Uni, on envoyait en France les voltigeurs lors des manifs étudiantes. Que les mêmes privatisations, la même libéralisation économique et financière ont eu lieu des deux côtés de la Manche. Que, partout en Europe, les partis sociaux-démocrates ont renoncé à la lutte des classes et à la transformation profonde  de la société.

Queen

Allégorie

Le testament de Thatcher, le voici, et il est écrit du sang des ouvriers. Margaret est dans la tombe, et nous regarde en riant.

Un merci tout particulier à Nicolas, Jérémie et Élise,

Bonus multiples :

  • Dans Là-bas si j’y suis, reportage au Pays de Galles chez des mineurs qui ont racheté leur mine à sa fermeture et sur l’importance des communautés de mineurs au sein du mouvement ouvrier.
  • Toujours dans Là-bas… une série sur les années 80. Pour se rappeler que Thatcher n’était pas seule.

Bonus Football : Les Reds de Liverpool rendent un bien bel hommage à Maggie.

Bonus Musical : From « Wizard of Oz » musical – Ding Dong the Witch is dead

Tagué , , , , , , , , , , , , , , , ,

Pour la VIème République : Et que vive la Sociale !

Ce week-end, j’ai eu l’occasion de discuter, de manière directe ou indirecte, avec des personnes d’horizons assez différents, de notre marche du 5 mai prochain pour la VIème République. Il en ressort que des clarifications sont nécessaires.

D’abord, un constat, celui de l’échec de la Vème République. Jérôme Cahuzac n’a ici qu’un rôle quasi-métaphorique. Loin de moi l’idée de minimiser la gravité du scandale le concernant, mais il serait idiot d’en faire un bouc-émissaire. Pour autant, pas question de sacrifier celui qui n’est qu’un homme désormais seul (sic) afin de se laver les mains du reste. Pas question non plus de reprendre le slogan poujadiste du « tous pourris ». Comme l’écrivait mon compère du Cri du Peuple vendredi : « Ce n’est pas tous pourris mais tout qui est pourri. » Dans le cadre politique de la Vème république, les hommes honnêtes sont appelés à se corrompre où à se trouver pieds et poings liés.

Source : Commune Communication

Source : Commune Communication

La frontière est parfois ténue entre concession et compromission, entre peser un rapport de forces et avaler une couleuvre. Fixer des limites à son action n’est pas toujours chose aisée, et en un rien de temps, ce système a transformé un militant sincèrement de gauche en serviteur du Capital. Le régime présidentiel se charge de museler les autres. L’épouvante bien orchestrée de la perspective de cohabitation a achevé de garantir un parlement aux ordres de l’exécutif, et en dernier recours, le bicamérisme hérité du Directoire permet une dilution du pouvoir législatif. Résultat, malgré le score de Jean-Luc Mélenchon en avril dernier, le résultat des législatives qui ont suivi n’est pas représentatif de l’influence grandissante de notre projet politique. Et avec la majorité absolue des sièges pour le parti dont le président est issu, notre influence institutionnelle au niveau national est quasi-nulle.

En filigrane, c’est la question de l’État qui se pose à nouveau. Si les partis politiques ne sont que l’outil de conquête de l’État, l’État n’est que l’outil de préservation d’un système politique, économique et social. Par conséquent, l’appel à une Constituante ne doit pas se résumer à un aspect purement institutionnel. Il ne s’agit pas de dire que nous voulons changer de république, il convient d’affirmer quelle république nous voulons. C’est la clé de voûte idéologique nécessaire pour sortir du raccourci « tous pourris ! » C’est aussi ce qui nous protégera des tentatives de récupération de notre mouvement par l’extrême-droite. Sans le volet social de notre discours, il est tentant de rapprocher les « Fronts », et certains ne s’en gênent pas ! Il s’agit donc d’affirmer que nous portons un projet politique à l’opposé des orientations en cours (ANI, Troisième acte de décentralisation, TSCG etc.) : nous ne dénonçons pas ceux qui ont le pouvoir pour devenir califes à la places des califes, nous combattons un outil d’exploitation de l’homme par l’homme.

Vive la Sociale !

Vive la Sociale !

Notre action politique n’est pas faite de « coups » médiatiques, même si nous acceptons parfois de porter le fer avec les mêmes armes que l’ennemi. On ne peut pas dissocier notre appel à une VIème République du reste de nos engagements de terrain. Cet appel se fait dans la continuité de notre travail pour bâtir un Front des luttes, c’est à dire l’incarnation de la convergence des luttes de tous les travailleurs à l’aide de tous les outils à leur disposition : syndicats et partis politiques notamment. C’est pourquoi, je maintiens que cette république n’aura de sens que si elle affirme son caractère anticapitaliste.

Est-ce pour autant une finalité ? Je ne le crois pas, pas plus que la signature de conventions collectives par les syndicats. Ce projet doit être pris pour ce qu’il est : une avancée et surtout un outil dont nous nous dotons pour aller plus loin dans l’émancipation de la classe ouvrière. En ce qui me concerne, je ne serai comblé qu’une fois érigée un système démocratique fondé sur les « conseils ». En russe, ça se dit soviet.

Bonus musical : Patti Smith – People have the power

Tagué , , , , , , , ,

La république n’est pas compatible avec le capitalisme

Y a-t-il vraiment une « affaire Cahuzac », comme il y a eu une « affaire Woerth » ? Ce simple mot, « affaire », enferme tout ce qu’il y a de moisi dans le fonctionnement de la Vème République. Dans le langage convenu des médias et des professionnels de la politique, on n’entend plus guère l’expression « être au pouvoir », le mot « pouvoir » est sale, connoté, le pouvoir c’est nécessairement le pouvoir sur l’autre, une illégitimité quasi-ontologique. Toujours donner l’illusion de ce qui est lisse, l’égalité proclamée par la novlangue. Non, la pensée dominante préfère l’expression « être aux affaires ».

Les affaires de l’État ? Rien n’est moins sûr. Du temps de Chirac, les « affaires » désignent un ensemble de magouilles dans lesquels tant de personnages publics ont trempé. Rien de grave, on pratique l’amnésie à grande échelle, le public oublie. C’est ainsi qu’on peut être mêlé jusqu’au cou dans une affaire sordide de sang contaminé par le virus du sida au milieu des années 80, il suffit d’être patient, on se relève de tout et on finit ministre des affaires étrangères.

Les affaires, c’est les affaires. Les affaires tout court. En Vème République, tout est dans tout, et réciproquement (sic). On dirige un cabinet ministériel, le temps de faire quelques relations, d’épaissir un carnet d’adresses bien utile une fois de retour dans le privé. C’est le système qui le veut, il s’est construit dans une logique de vases communicantes. On naît du bon côté de la barrière de classe, on fait des études de droit, de sciences politiques, on passe par l’ENA, par HEC, Polytechnique… On finit par proclamer élite ce qui n’est que consanguinité toute capétienne. L’un deviendra une figure importante d’un cartel de patrons, son tout petit frère sera président de la république. Pas de complot, juste des logiques cohérentes de préservation de classe.

cover-austerite9avril

Woerth, Cahuzac, d’accord. Voilà les petits derniers d’une liste déjà longue de ceux qui se servent du système pour camoufler leurs magouilles. Avant eux il y a eu Dumas, Tapie, Tibéri, j’en passe et de bien meilleurs. Ces gens-là ne manipulent pas le système, ils sont le système. La liste est longue et s’allongera encore, car elle exprime l’essence de ce qu’est le capitalisme : la recherche du profit maximal par tous les moyens. On peut décider de « moraliser la vie politique », créer pour cela une commission, mettre à sa tête un ancien premier ministre et sans la moindre once de second degré y inclure une ex-ministre VRP en pharmacie. Cela conduira à un changement des règles du jeu, peut-être, mais le jeu continue.

Après Cahuzac, qui viendra ? Peu importe au fond, qu’il soit issu du PS. UMP et FN ont fait leurs preuves dans l’escroquerie. Soyons honnête jusqu’au bout. Remplacez Cahuzac par mon voisin du dessus ou mon boucher, rien ne changera, personne n’est pur. Il n’est pas tellement question de personnes physiques, le véritable problème est que la corruption, la fraude et autres travers vénaux sont consubstantiels au capitalisme.

Vite, la révolution !

Vite, la révolution !

Depuis que la monarchie a cessé d’être sérieusement envisagée en France comme alternative politique, la République s’est peu à peu éloignée de ses buts premiers. Alors qu’elle devrait être perçue comme le choix d’un système politique, elle est reléguée au rôle de fonctionnement institutionnel du capitalisme. Sous la Vème république, les élus du Front de Gauche ne pourront jamais guère faire mieux que contribuer à limiter la casse sociale, notamment au plan local. Mais même quand nous serons majoritaires au niveau national, cette fausse république au service de l’oligarchie nous enchaînera. On ne pourra pas mener une véritable politique de gauche dans son cadre.

L’appel que nous avions lancé lors de la dernière campagne présidentielle n’était pas un hochet, un produit marketing de campagne. C’est une nécessité, la condition sine qua non de notre réussite. La Vème République, c’est la confiscation de la souveraineté populaire au profit de l’oligarchie, c’est une république en trompe l’œil.

main

Cet appel, nous le renouvelons aujourd’hui. Nous voulons la VIème République car nous voulons rendre le pouvoir à son seul propriétaire légitime : le peuple. Nous voulons la VIème République car nous voulons la République.

EDIT : Pour aller plus loin sur le sujet : Pour la VIème République : Et que vive la Sociale

Images : Naz Oke

Bonus musical : Midnight Oil (encore) – Redneck Wonderland

Tagué , , , , , , , ,

J’ai de la chance

Soyons honnêtes, j’ai de la chance. J’ai de la chance d’être né en France. « Être né quelque part », dit la chanson, et naître en France, c’est avoir la perspective de meilleurs conditions de vie qu’un bébé qui naîtrait, lui aussi par hasard, sur l’île de Madagascar.

J’ai de la chance parce que parmi mes compatriotes, je ne suis pas des plus mal lotis. Certes, je suis né du mauvais côté de la barrière des classes, mes parents sont des prolétaires : ils ont vécu et vivent encore de leur travail. Mais je suis né dans une famille de prolétaires « haut de gamme », ou pour employer des termes moins ironiques, des prolétaires instruits. Ceux-là que la propagande capitaliste désigne comme classe moyenne pour mieux la faire s’approprier les chimères de l’ascension sociale, pour en faire des spectateurs du combat de la classe ouvrière. Bref, j’ai eu la chance immense de naître au sein d’une minorité, dans un tout petit pays privilégié. J’ai eu la chance de ne manquer de rien pendant mon enfance, la chance d’avoir accès à l’instruction autant par l’école que par mon arbre généalogique. Quand les copains venaient à la maison, ils étaient impressionnés par la quantité incroyable de livres. Quand j’allais chez eux, j’étais sidéré par l’absence de livres.

Bibliothèque

J’ai fait des études longues, j’ai une licence de mathématiques. Même si je n’ai pas la prétention d’être un mathématicien, même si je complexe bien souvent sur mes connaissances dans cette discipline dont j’ai fait un métier, j’appartiens à une minorité. Quelle proportion sommes-nous, à l’échelle de l’humanité, à comprendre les notions de topologie ou d’algèbre enseignées dans nos universités ? Tant pis si mon propos semble prétentieux, j’appartiens à une minorité intellectuelle. Plus encore, j’ai la chance d’être souvent au contact de personnes qui, de mon point de vue, sont bien plus brillantes que je ne le suis.

Ce que j’ai appris de plus important lors de ce long chemin qui a fait de moi un adulte, c’est une capacité à apprendre par moi-même. Qu’on s’entende bien, je suis incapable d’apprendre seul, sans des maîtres, mais je connais les méthodes efficaces d’apprentissage, pour les avoir éprouvées pendant de nombreuses années. Je n’hésite pas à me plonger dans des lectures arides au premier abord, je sais à qui m’adresser pour apprendre telle ou telle notion idéologique, telle ou telle façon de mener une action politique etc. Plus que tout cela, j’ai acquis la capacité à identifier mes propres besoins ! J’ai de la chance.

Ecole

Si je raconte cela, c’est parce que je constate qu’après seulement 6 mois de militantisme au sein d’un parti politique, j’ai déjà énormément appris sur ce que c’est que militer. J’ai cet avantage, conséquence directe de ce que j’expliquais plus haut, d’arriver avec un bagage idéologique conséquent. J’ai cet avantage de savoir qu’il sera toujours incomplet, que je devrai toujours « apprendre », car qui cesse d’apprendre commence à régresser.

Le problème, c’est qu’on ne construit pas un parti politique avec des hommes et des femmes ayant mes origines et mon parcours. Je ne suis pas représentatif de la classe ouvrière dans son ensemble, seulement d’une portion bien faible de celle-ci. Or, mon parti ne sera pas le parti des ouvriers tant que ses membres ne seront pas issus de leurs rangs, dans toute la diversité de ce qu’est la classe ouvrière. Pour remplir cet objectif de représentativité, voire même de légitimité, nous devons impérativement veiller à former chaque militant, quel que soit son parcours. On peut avoir arrêté l’école à 15 ans, on n’en est pas moins capable d’apprendre, d’acquérir une véritable cohérence idéologique. Ce n’est pas de l’endoctrinement, c’est simplement reconnaître que les plus aguerris d’entre nous n’ont pas le droit de ne pas transmettre leurs connaissances.

Nous ne pourrons pas affirmer que nous avons remporté ce défi tant que les militants issus des couches les plus pauvres de la société ne seront pas un moteur de notre parti. Nous ne pourrons pas non plus le faire tant que nous aurons besoin de statuts imposant la parité en genre. Nous devons arriver à un niveau d’excellence idéologique tel que les femmes prennent sans recours à la « loi » toute la place qui leur revient dans une organisation qui se veut émancipatrice.

manifeste

Nous ne pourrons pas revendiquer légitimement la théorie de l’éducation populaire, qui nous tient tant à cœur, tant que nous ne nous la appliquerons pas efficacement à nous-mêmes. Ce week-end, à Bordeaux, notre parti va changer. C’est à nous, militants, par le mandat que nous avons donné à nos délégués, de faire les choix idéologiques, stratégiques et statutaires à même de réunir les conditions de réalisation de cette exigence de formation.

La formation de chaque militant est un enjeu local autant que national. J’espère que ce congrès sera l’opportunité d’un élan nouveau en ce sens. Ça ne pourra pas être une perte de temps, car apprendre n’est jamais quelque chose d’inutile.

Bonus musical : Roger Waters – Another brick in the wall

Tagué , , , , ,

Abolir la prostitution, provoquer ma consternation

Ils sont nombreux, dans mon camp, à souhaiter abolir la prostitution. Ça m’embête d’autant plus que ce sont de bons camarades, loin d’être des idiots. Et voir des camarades se ridiculiser par une ineptie intellectuelle, ça me fait de la peine. Qu’on s’entende bien, je n’ai pas à proprement parler de position sur la prostitution. Je n’y ai jamais eu recours, ni comme fournisseur d’un « service », ni comme client, et je n’ai pas la prétention de donner mon avis sur une question que je ne maîtrise pas. Ce qui me gêne, c’est le terme d’abolition.

Il y a dans cette notion un idéalisme tout hégélien, cette volonté de dériver des concepts en faisant fi des réalités matérielles. Je m’explique. Abolir, c’est supprimer, abroger. Dans les conditions actuelles, abolir la prostitution est une impossibilité matérielle. Par conséquent, militer pour l’abolition de la prostitution est un hochet vaniteux.

Les projets à la con.

Les projets à la con.

On a pu abolir les privilèges et deux siècles plus tard la peine de mort, parce que cela renvoie à des actes politiques concrets. Ceux qui ont aboli les privilèges ont aussi aboli l’esclavage. Les esclavagistes en rient encore aujourd’hui, quant aux travailleurs des ateliers clandestins de Paris, je doute qu’ils goûtent le sel abolitionniste.

Si on entre dans le détail, il me semble pouvoir distinguer deux problématiques distinctes : la question du proxénétisme et celle de la prostitution à proprement parler. Pour ce qui est du proxénétisme, des lois existent pour le combattre. On pourra discuter de leur efficacité, regretter leur manque de portée, mais il est malhonnête de voir une soi-disant tolérance envers le proxénétisme : c’est un délit puni par nos lois. Les abolitionnistes s’intéressent donc nécessairement aux formes de prostitution se situant hors du cadre du proxénétisme. Je ne crois pas à la notion de prostitution choisie : une aliénation ne peut pas être volontaire, c’est une illusion servie par et pour ceux qui sont déjà des esclaves. Je pose donc une question (et pour le coup, en toute naïveté !) : vouloir abolir la prostitution, n’est-ce pas vouloir abolir une deuxième fois l’esclavage ?

Avec les Dupondt, abolissons la gravitation !

Avec les Dupondt, abolissons la gravitation !

En somme, militer pour « l’abolition » de la prostitution est définitivement vain, une chimère idiote, rien de plus. Cela ne signifie pas que la prostitution et plus encore le proxénétisme ne doivent pas être combattus. Par quels moyens ? Je l’ignore, et je répète ce que j’écrivais plus haut : je ne sais pas jusqu’à quel niveau ce combat doit être mené. Bien d’autres en parleront mieux que moi, je leur cède volontiers la parole. Mais par pitié, abandonnez ce terme imbécile qui n’a qu’une seule vocation, la moquerie de Marx à l’égard des jeunes hégéliens, lorsqu’il affirmait que ceux-ci aboliraient les lois de la physique si cela leur était possible. On abolit ce qui peut l’être, on combat le reste.

Bonus musical : Trust – Palace

Tagué , , , , , ,

Ma république est féministe

« En République, si la justice ne règne pas avec un empire absolu, la liberté est un mot vain. » Maximilien de Robespierre

Aujourd’hui, journée des droits des femmes, c’était l’occasion d’une rencontre au sommet avec la Robe Rouge. Tu l’as compris, on célèbre les droits des femmes, et c’est quand même ma fête ! Le monde est bien fait parfois. Quand deux génies se partagent un coin de terrasse fouettée par le doux soleil marseillais, ils élaborent ensemble leurs plans de conquête et de domination du monde. Tu comprendras donc, ami lecteur, le caractère confidentiel que revêt l’essentiel de la conversation que j’ai eue avec la célèbre blogueuse. Je peux toutefois vous dire que tous les débats ont été menés en bonne intelligence, sans jamais un mot plus haut que l’autre et sans la moindre ombre de mauvaise foi ni de ma part, ni de ma part.

Réflexion faite, tu n’es pas n’importe qui, ami lecteur. Puisque tu me lis, c’est que tu n’es pas la moitié d’un con. Pas un génie, bien sûr – sauf Pierre – mais tout de même, tu as un cerveau dont tu te sers. Pour ces raisons, je vais te dévoiler une partie de notre conversation, mais tu promets, tu balances pas, sinon hop ! À Loubianka !

Elle a troqué sa Robe Rouge contre ma casquette Rock'n'Rouge

Elle a troqué sa Robe Rouge contre ma casquette Rock’n’Rouge

Suite à une ineptie de ma part (même les génies ont des absences!), on en est venus à évoquer ce que c’est qu’être Français. Pour moi qui suis né à Lens, dans une famille déjà installée en France en 1914 (dans le cas très improbable où tu me lirais, sinistre Valls, tu peux ranger tes milices, je suis plus dur à expulser qu’un Rom), c’est une question difficile. Être Français est une caractéristique « naturelle » chez moi : je l’étais avant même de produire une pensée, de parler. Surtout, ça n’a jamais été questionné par les autres. Le Français est ma langue maternelle, j’ai la peau blanche qui me garantit de toujours bénéficier du « délit de bonne gueule », celui qui te préserve des contrôles d’identité et d’un racisme aussi immonde qu’il est larvé. Ou pas. Du coup, je ne me suis pas toujours interrogé sur le sens que cela porte. Rien que pour cette raison, il est hilarant que de sombres imbéciles voient chez les Français naturalisés comme chez ceux qui ne sont pas assez « gaulois » des espèces de sous-Français, pas autant Français que les autres. Eux se la posent, cette question, car trop souvent on la leur pose.

Le chef d’œuvre de Delacroix, actuellement exposé à Lens, ma ville natale.

Le chef d’œuvre de Delacroix, actuellement exposé à Lens, ma ville natale.

Alors qu’est-ce qu’être Français ? Cela mériterait sans doute des pages, mais il me semble que c’est d’abord être républicain. De cette république qui la première proposa d’énoncer les Droits de l’Homme, celle à qui l’on doit notre devise célébrant la liberté, l’égalité et la fraternité. Est Français à mes yeux quiconque vit selon ces trois principes. Autant dire qu’en supprimant le droit du sol et en le remplaçant par ce critère, le pouvoir serait vacant. Bye bye Christine Boutin, ciao Arnaud Montebourg, exit Claude Bartolone et tous nos ennemis de classe ! Le rêve ! J’admets qu’en pratique, il sera difficile de mettre en œuvre un tel critère sans reconstruire une guillotine ou ouvrir un goulag, des mauvaises langues pourraient y voir un enfer pavé de bonnes intentions. Moi j’aime les goulags, mais c’est sûr que comme « plan comm’ » on fait mieux. Ou pas.

« Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé. » Constitution du 24 juin 1793, article 34.

Ma République est féministe, car l’oppression des femmes, c’est l’oppression de toute la société. Pour nous, peuple de gauche, il est généralement acquis (malheureusement pas pour tous, mais sont-ils véritablement de gauche?) que l’émancipation des femmes ne pourra être totale qu’avec l’émancipation de toute la classe ouvrière. Mais ce que nous indique l’article ci-dessus, c’est que réciproquement, l’émancipation de la classe ouvrière ne sera pas totale tant qu’il n’y aura pas eu émancipation des femmes ! En effet, tant que les hommes accepteront que les femmes soient victimes d’injustices pour la simple raison qu’elles sont des femmes, c’est qu’ils toléreront l’injustice sous toutes ses formes.

Ma République est féministe, car la classe ouvrière n’a pas le droit d’accepter les inégalités entre hommes et femmes, puisqu’elles sont la négation de nos trois principes républicains. Les accepter, c’est donner une autorisation implicite à l’exploitation capitaliste. Si un seul membre du corps social est opprimé, c’est tout le corps social qui est opprimé. Avec la moitié du corps social opprimé, on a le compte, non ?

Ma République est féministe, enfin, parce que comme l’écrivait plus tôt un camarade : « Une femme n’est rien de plus qu’un homme mais en femme, ou inversement. »

Pour le Bonus musical, j’ai cherché du Rock en Robe, j’ai trouvé ça : Placebo feat. David Bowie – Without you I’m nothing

Tagué , , , , , , , , , , , ,

Je suis casse-pieds et je le vis bien.

« Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »

Pierre de Ronsard

Aux deux femmes à qui j’ai écrit des lettres d’amour.

Quand je suis témoin d’engueulades entre militants dont je suis le plus proche, voire quand j’en suis acteur, il y a ce thème récurrent qui sonne comme un grief impardonnable : « Il connaît très bien le sens des mots et ne parle ni n’écrit au hasard, (…) s’il avait voulu dire ceci, il aurait écrit cela ». Toi qui me lis, ne vois pas dans cet argument un quelconque effet de tribune, car les mots et les syntaxes ont un sens, une fin que les militants aguerris maîtrisent parfaitement : dans chaque phrase, une arrière-pensée.

C’est en étudiant ce sonnet de Ronsard au lycée que j’en ai pris conscience, aidé par un prof qui a su me faire apprécier les textes les plus pénibles, à l’exception notable de Manon Lescaut (faut pas pousser). Ce poème, je l’ai lu une première fois, et comme mes camarades, j’y ai vu une déclaration d’amour qui pète grave sa daronne et même que je me demande si un truc pareil me permettrait de sortir avec la belle Sophie. Et puis on a analysé le texte. Et je me suis dit que pour les lettres d’amour j’allais chercher une autre référence. Parce que si on lit attentivement le texte, la traduction par mon frère Jirimi donnerait quelque chose du genre : « C’est quand même swag de coucher avec Ronsard vu que je suis juste un true hipster. Profite tant que tu as un petit cul parce qu’après je serai peut-être mort, mais toi tu seras moche. » Classe le mec, non ?

Je te récite un poème, et après, est-ce que tu baises ?

Plus sérieusement, le dernier vers est particulièrement instructif. C’est sur l’idéologie du Carpe Diem que s’appuie le monsieur. Comme si la destinataire du poème était condamnée à ne jamais connaître de meilleure opportunité que celle de goûter les performances sexuelles d’un vieillard jouissant d’une notoriété – et d’un talent – certains ! Carpe Diem, cette locution qui, de générations en générations, fait la joie des journaux intimes d’adolescentes et des étudiants glandeurs, cet aphorisme qu’on n’ose pas critiquer de peur de passer pour un rabat-joie, c’est un poison idéologique. Qu’est-ce que cela signifie au juste, que de « profiter du jour ». Plus précisément, qu’est-ce que cela implique ? Faire le choix de l’insouciance du quotidien, ce n’est pas simplement choisir la posture optimiste qui consiste à savoir apprécier ce que peut offrir la vie, c’est davantage qu’une classique philosophie hédoniste. Carpe Diem, c’est surtout se limiter à être sujet et jamais objet du monde. Autrement dit, c’est refuser de se penser et de penser le monde dans lequel on vit, et par conséquent c’est renoncer à se projeter dans l’avenir.

Puisqu’un renoncement en amène un autre, on renonce alors à remettre en cause sa condition. Apprendre à se satisfaire de ce que l’on a, c’est apprendre à ne plus désirer. Ce n’est finalement pas un hasard si « Le Roi Lion » a été un des plus grands succès récents de Disney (j’assume le terme « récent », dans la mesure où je considère comme « récent » l’album Tragic Kingdom de No Doubt, mais je digresse inutilement). Dans ce film, Carpe Diem prend sa forme suprême en devenant Hakuna Matata. Traduction : « Si tu veux être heureux, accepte ta place dans la société et fais en sorte de t’y conformer. »

Le meilleur moyen pour la classe dominante de pérenniser son pouvoir, c’est de produire une propagande qui fasse des opprimés les plus fervents défenseurs du système. La construction idéologique du Carpe Diem, parodie d’un stoïcisme joyeux, relève des mêmes éléments de propagande que la glorification de la société de consommation, la notion de classe moyenne ou le rêve américain. Ce sont des hochets destinés à éroder la conscience de classes.

Ceux qui refusent cette chimère passent souvent pour des rabats-joie, des empêcheurs de s’amuser en rond. Je dis que nous sommes au contraire les plus joyeux, car nous aimons la vie au point de refuser l’injustice. Choisir de s’engager en politique, c’est un acte philosophique, et si on passe pour les casse-pieds dans les réunions de famille, il ne faut pas oublier que l’engagement d’un militant de base n’est pas un jeu. D’ailleurs, on peut se montrer bien plus dur avec les nôtres, en particulier nos dirigeants, quand ils se mettent à dire et écrire n’importe quoi pour leur jouissance narcissique d’exister. Notre cause est collective, elle nous dépasse autant qu’elle nous permet de nous dépasser. Ceux qui l’oublient n’ont aucune excuse.

Merci à Pierre et Jérémie pour l’aide apportée.

Bonus Loubianka : Dans 2 jours, on commémore le décès de Staline ! Vivent les purges !

lhumanitc3a9-staline-que-nous-aimons-communisme

Bonus vidéo : Agora Fidelio – 10h17

Tagué , , ,