Je crois qu’il est naturel de penser que la meilleure musique du monde a été composée quand on était ado. Sans sombrer dans la psychologie de troquet, il me paraît logique d’avoir une affection particulière pour les artistes qui ont fait la bande son de nos premières amours, de nos premiers potes, de nos premières conneries. Rock en Seine fêtait ses 10 ans d’existence ce week-end. L’occasion pour moi de me replonger dans cet âge d’or faits d’appareils dentaires, de boutons d’acné et de dilemmes cruciaux du type « Est-ce que j’achète OK Computer de Radiohead ou Without you I’m nothing de Placebo ? On fait un billard ou deux parties de baby-foot ? »
Pour bien faire, Rock en Seine avait mis les petits plats dans les grands souvenirs, avec une programmation très oldie. Il était l’heure pour moi de chausser mes Converse rouges, mon t-shirt spécial sueur & festival, et de m’engouffrer dans le métro 10 direction Boulogne – Pont de Saint-Cloud.
24/08/12 : Premier jour
Vendredi, j’arrive sur le site aux alentours de 17h. J’ai raté Billy Talent, je m’en remettrai. Je les ai déjà vus à Sziget, en 2010, c’est supportable en concert, mais avouons-le, ça ne casse pas des briques. Repérage des lieux et des postes stratégiques (les buvettes). J’ai rendez-vous avec un ami un peu plus tard dans la soirée, je prends le temps de repérer un point de rendez-vous facile à trouver. J’avance vers la scène principale et prend en cours de route le concert d’Asteroïds Galaxy Tour. Je ne connais pas. Cette pop vitaminée teintée d’électro n’est pas pour me déplaire, le groupe emmené par une jolie chanteuse blonde n’est pas sans me rappeler un autre, comprenne qui pourra !
Fin du concert, et opération kébab ! Vite, car il est temps de prendre place dans les premiers rangs pour un groupe avec lequel j’ai un gros paquet de souvenirs : Dionysos. Je ne les ai jamais vus en concert, mais après tout le bien qu’on m’en a dit, l’impatience est à son comble. Et le petit groupe emmené par Mathias Malzieu est au rendez-vous. Entrée sur scène au son de la marche impériale, les fans de Star Wars dont je fais partie apprécient. Très vite, la pluie s’arrête et le set se transforme en une espèce de grand n’importe quoi. Autour de moi, les slams s’enchaînent, le groupe se déchaîne pour atteindre un paroxysme aux premières notes de « Song for a Jedi ». Toute une époque, je vous ai prévenus d’emblée ! Ovationné, le groupe salue longuement un public conquis, avant que la régie coupe les micros, manifestement pour les obliger à quitter la scène. La rigueur d’un festival impose des horaires à respecter, mais j’en garde l’impression que Dionysos aurait volontiers joué quelques chansons supplémentaires.
Il est temps de retrouver un vieux compère, avec qui j’avais déjà eu le bonheur de participer à l’édition 2004, alors enflammée par Melissa auf der Maur et Muse. On en reparle avec passion. Les bons concerts ne s’oublient pas. C’est l’heure pour Bloc Party de monter à la tribune. Autour de nous, le public est motivé, les morceaux s’enchaînent, c’est frais, mais avouons-le, assez répétitif. La discussion commence à tourner autour de la qualité des batteurs sur la scène actuelle. Je ne suis pas batteur, ce n’est pas le cas de l’ami qui m’accompagne, avec qui j’ai eu la chance de pas mal jouer il y a dix ans. Le constat est partagé, le batteur de Bloc Party tourne toujours plus ou moins sur les mêmes breaks. C’est propre, cela ne fait aucun doute, mais c’est lassant. Même si je dois rendre honneur au chanteur pour avoir dédicacé une chanson aux Pussy Riot, le constat est sans appel et bien résumé par la belle @shirvika : « Un concert de Bloc Party, ça ressemble à un gros medley d’une heure et demi. »
Nous partons donc un peu avant la fin du concert, direction la scène de la Cascade, pour Sigur Ros. Je ne m’étalerai pas sur ce moment pénible. Je ne souhaite pas en dire du mal, je me contenterai donc de dire que c’était pas notre truc. Et puis j’ai soif et en plus je veux être bien placé pour le concert de Placebo.
Il faut quand même que je vous explique. Dire que j’ai beaucoup écouté ce groupe est un euphémisme. À la longue, c’est devenu le groupe que j’adore détester. Il y a pour moi trois périodes Placebo. La première période, faite des deux premiers albums (Placebo et Without you I’m nothing), c’est l’époque de la créativité, de l’authenticité, oserais-je le mot ? Du génie. La deuxième période, faite des deux albums suivants (Black Market Music et Sleeping with ghosts), est celle de la consécration. En tout cas c’est ce que j’écrirais si j’étais un gratte-papier à deux euros des Inrocks, ce magazine bien coiffé des jeunes qui disent oui au Traité Constitutionnel Européen. Un son plus « mainstream », mais tout de même de bonne qualité. La troisième période, enfin, faite des albums Meds et Battle for the Sun, étant proprement inaudible. Le succès corrompt les plus purs, paraît-il, et les voix de la chanteuse des Kills ou du chanteur de REM sont comme un bandeau publicitaire qui dit : « On est des stars, regardez qui chante avec nous. » Heureusement, Placebo et moi avons ce point commun qui est la conviction qu’ils ont arrêté la musique il y a une dizaine d’année. Résultat, le set est fait de pas mal de vieilles chansons, notamment « Teenage Angst » et « I know », extraites de leur premier album. Seule « Every you every me » est choisie parmi les chansons de l’excellent second album, et c’est le gros point noir de la prestation. Pour le reste, le groupe ne vieillit pas : le visuel est toujours très soigné, et le leader Brian Molko toujours aussi con. J’en veux pour preuve cette intervention qui m’a laissé bouche bée : « Merci d’avoir bravé toute cette pluie et tout ce mauvais son pour venir nous voir. » Asshole ! C’est parce que tu es frustré de ne pas être en tête d’affiche du premier jour que tu dis ça ?
Mais nous sommesà la fin du premier jour, et il est temps d’aller au lit pour recharger les batteries.
25/08/12 : Deuxième jour
Un Mac Do, un dodo, et me voilà en route pour la place Saint-Michel afin de retrouver mes deux acolytes, @LazarusReed et @shirvika, avec qui je passe ce deuxième jour. Il s’agit d’économiser ses forces, donc ses mouvements. Aujourd’hui, nous restons exclusivement sur la scène principale, ne la quittant que pour des raisons vitales : Hot-Dog, frites, bières, pipi. Une bière à la main, nous assistons au concert des belges de dEUS. C’est agréable, entraînant, et ça me rappelle Kasabian. On me fait remarquer que j’ai raté une occasion de fermer ma gueule, puisque dEUS tourne depuis plus de 20 ans, ce qui n’est manifestement pas le cas de Kasabian. Je m’en fiche, le concert est plaisant, c’est tout ce qui compte.
Sur la scène principale, l’avant-dernier concert est un sacré événement. Noël Gallagher’s high flying birds. Autrement dit, Oasis sans les engueulades avec Liam. Objectivement, on ne fait vraiment pas la différence entre les deux formations. C’est toujours plus ou moins la même chanson, mais comme la chanson est bien, pourquoi s’en priver. Bien entendu, quelques chansons d’Oasis sont jouées pour l’occasion, joyeusement reprises par le public qui réclame en vain « Wonderwall ». Quand je vous disais que j’ai eu 15 ans pendant trois jours. On se quitte sur le très célèbre « Don’t look back in anger ». Puissant.
La nuit tombe enfin, ainsi que quelques gouttes d’une pluie qui ne dure pas. Les américains de Black Keys s’apprêtent à apporter leur contribution à cette journée. Le groupe parle peu, joue beaucoup, joue bien. Rien de révolutionnaire dans la musique du duo, mais ça sonne à contre-courant de ce qui se fait actuellement. L’ensemble est maîtrisé, énergique, enthousiaste. Grosse déception cependant, les artistes quittent la scène après un set bien court, et ne reviennent pas. En tant que tête d’affiche de cette journée, ils auraient pu faire mieux sur ce point. Nous rentrons à Paris, mais cette fois je ne raconterai pas notre épopée du retour à Paris tant elle est faite de détails que la morale réprouve.
26/08/12 : Troisième jour
Troisième jour, et l’occasion de voir enfin sur scène des groupes que j’écoute depuis le collège. Il est 18h, quand les Dandy Warhols arrivent sur la scène principale au son de « Be-In ». Le moment est perturbant, partagé entre la joie d’entendre des titres mille fois chantés à tue-tête comme « Not if you were the last junkie on Earth » et la déception d’un show finalement mollasson, poussivement emmené par chanteur qui semble aussi camé que Kurt Cobain à ses dernières heures. Sans être franchement désagréable, on finit par trouver le temps long.
Accompagné d’une amie, j’ai le temps de retrouver @Citizen_Sam afin de boire une bière en médisant sur le dernier single de Muse. Il me confie qu’il attend comme moi ce qui ressemble à un plaisir coupable, le punk très mainstream de Green Day, le groupe qu’on a tous un peu honte d’apprécier. Nous devons déjà nous séparer, car je dois retrouver à l’autre bout du site des amis que je n’ai d’ailleurs jamais trouvés. On s’assoit, on boit une bière et on fume quelques clopes en écoutant les « Avant-Scène All-Stars ». Moment joyeux et reposant, il le faut, car déjà je m’apprête à rejoindre la scène principale pour le groupe que tout le monde attend, les californiens de Green Day.
En arrivant, je constate qu’une foule déjà nombreuse s’est agglutinée pour être le plus près possible de la scène. Je me fixe un peu sur la gauche, où je sympathise avec un petit groupe de grenoblois venus spécialement pour l’occasion. La bonne ambiance autour de moi est à la mesure de l’impatience qui nous habite. Je serais bien incapable de dire par quelle chanson le trio enrichi pour l’occasion de musiciens additionnels a démarré son concert. Ce que je sais, en revanche, c’est que mon pogo-mètre est à son niveau maximal, autour de moi ça crie, ça chante, ça bouge, ça saute, la sensation est enivrante. Le chanteur Billy Joe Armstrong est en grande forme, transforme des morceaux de 3 minutes en morceaux de 10 minutes, occupé qu’il est à s’interrompre pour jouer avec le public. Ses complices ne sont pas en reste, affichant ostensiblement la joie d’être sur scène. C’est déjà l’heure pour eux de jouer « Holiday ». Je salue alors mes grenoblois avant de leur demander de me hisser au dessus de la foule pour un slam bien mérité. J’atterris un peu plus avant au moment du pont basse-batterie. Le public est au bord de la fusion nucléaire, et l’enchaînement avec « Burnout » n’arrange rien, tant mieux. Green Day, dans une forme impériale, sait aussi rendre hommage à ses aïeux du rock, avec une reprise hallucinante de justesse du « Highway to hell » d’AC/DC. À côté de moi, la jeune fille qui ferait passer Ellen Page pour une camionneuse ne semble pas impressionnée par les armoires normandes qui se dressent devant nous. Elle connaît par cœur l’ensemble de la discographie du groupe, qu’elle chante à pleins poumons, tout en sautant partout comme un enfant cocaïné. Je me dis qu’il faudrait au moins que j’arrête de fumer pour en être capable. Le spectacle dure ainsi deux heures, sans que jamais la tête d’affiche ne se prenne au sérieux. On est là pour faire la fête, rire, et foutre le bordel. C’est la consigne donnée au public et les artistes sont les premiers à montrer l’exemple. Une pause, un rappel entamé avec « American idiot », et déjà c’est fini. Le public en veut encore, et continue à chanter jusque dans les métros bondés qui reprennent le chemin de la capitale. Rock en Seine, c’est fini pour cette année, on a pris un coup de jeune, juste ce qu’il fallait pour pouvoir accepter la dure réalité de la rentrée qui nous attend.
Bonus Cocaïne et mauvais esprit :