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Sciences économiques ? Mon cul.

Je n’ai guère dépassé le stade anal depuis la dernière fois, mais les concepts antinomiques ont sur moi l’effet d’une boîte de dragées « Fuca ». Pour les plus feignants, vous pouvez passer directement à la deuxième partie.

Qu’est-ce que la science ?

Il faut d’abord s’entendre sur ce qu’on entend par l’utilisation du mot « science ». La question est vaste, et pour ceux qui l’ignoreraient, elle est encore à débattre. Pour ceux que ça intéresse et en manque de temps, je vous recommande la lecture d’auteurs tels que Wittgenstein, Popper, mais surtout deux ouvrages plus récents et passionnants qui posent à mon sens les bases de l’état de la recherche sur la question : La structure des révolutions scientifiques de Thomas S. Kuhn et La vie de laboratoire de Bruno Latour. Pour les autres, je vais tenter de proposer une définition, incomplète et contestable, qui me permettra de développer plus aisément mon propos ultérieur. Camarade, je t’avertis, quand on me pose la question : « C’est quoi la science ? », j’ai tendance à répondre : « J’en sais foutrement rien ! », alors je fais un effort, mais accroche-toi, ça va saigner.

Les sciences se donnent pour objectif de mettre en place un modèle déterministe d’explication des phénomènes de la nature. Ces modèles, souvent fondés sur les mathématiques (notamment dans les sciences physiques), sont a priori toujours fondés sur la logique, posée comme postulat de base d’une discussion, d’un débat scientifique. Surtout, un modèle scientifique prétend à une universalité, dans la mesure où ses « théorèmes » fondamentaux (par exemple, les trois premières lois de Newton) s’appliquent en toutes circonstances.

On néglige cependant trop souvent un concept essentiel à la caractérisation de ce qui est « science ». Flash-back, début des années 2000, je suis en maths sup’ au Lycée Faidherbe, à Lille, et mon prof annonce : « Pour ce qui suit, je vous demanderai d’oublier tout ce qui vous a toujours paru comme acquis en mathématiques. » Il m’enseignait que les mathématiques elles-mêmes, reposaient sur un paradigme, c’est à dire un ensemble de postulats qui étaient non seulement parfaitement contestables (vous apprendrez par exemple, que dans le domaine de la géométrie projective, deux droites parallèles se coupent à l’infini et que c’est très rigoureux et parfaitement logique), mais qu’en plus ces postulats impliquent un langage bien à eux. Le sens d’un mot commun peut ainsi varier du tout au tout selon le paradigme scientifique dans lequel on se positionne, et c’est pourquoi d’une part, le sens des mots ne se dégage clairement que par sa contextualisation régulière, d’autre part une grande partie du travail du scientifique consiste à lever les ambiguïtés de vocabulaire.

Sur ce dernier point, pourtant, les efforts ne sont pas toujours faits dans le bon sens, et on en comprend aisément les enjeux. Être scientifique, c’est un statut social, plus que respectable. Les scientifiques sont les nouveaux oracles, adorés ou détestés (dans les deux cas à tort), et leur jugement est parfois craint parce que définitif, sans discussion possible. Aussi la communauté scientifique ne fait-elle pas toujours les efforts pour être comprise du plus grand nombre, comme en témoignent les écrits de Newton en latin (pour signifier qu’il ne s’adresse pas aux gueux et manants), où le titre arrogant de Wittgenstein : Tractatus logico-philosophicus.

Économie ou Sciences économiques : quels enjeux ?

Ça a la couleur de la science, ça a un prix Nobel comme les sciences, ça sent mauvais comme un tube à essai rempli d’ammoniac, mais ce n’est pas de la Science. Popper avait démonté le marxisme comme pseudo-science, au même titre que l’astrologie, non sans arrière-pensées, mais avec talent. L’économie, au même titre que le marxisme, est une pseudo-science, dans la mesure où c’est une discipline qui ne peut s’affranchir des influences humaines qu’au prix d’une téléologie toute hégélienne. C’est encore moins une science que le marxisme, parce qu’elle est interdite d’universalité : les soi-disant « sciences » économiques n’ont de sens que dans un cadre précis, le cadre capitaliste. Comme le dit un ami à moi : « Si les sciences économiques étaient de gauche, ça s’appellerait planification. » On ne peut pas théoriser scientifiquement ce qui n’est valable que géographiquement et historiquement.

Mais, me direz-vous, qu’est-ce que ça peut foutre ? Après tout, on parle bien de sciences humaines pour l’Histoire, la Sociologie etc. Sauf qu’ici, le mot « science » ne vient que pour affirmer : « attention, ce qu’on fait est sérieux ! » Et c’est justement ce que cherche l’Économie. Avoir l’air sérieuse.

Se parer des oripeaux de la science a donc pour premier but de légitimer le discours des économistes. Légitimer est un euphémisme, quiconque a subi au moins une fois une chronique de Jean-Marc Sylvestre connaît sa prétention à porter une parole divine, incontestable parce que c’est scientifique. Un discours de Madame Lagarde, directrice du FMI, c’est comme certaines pubs pour les produits de beauté : l’effet est « prouvé scientifiquement ». Prouvé par qui ? Prouvé comment ? On n’en sait rien, mais vu que c’est nous qu’on a raison, ferme ta gueule.

Je disais aussi plus haut qu’un paradigme donné implique une terminologie et un sens pour chaque mot. Le martèlement médiatique de théories économiques capitalistes a pour but implicite de nous forcer à l’appropriation de son propre vocabulaire. Combien de fois ai-je entendu dans tel ou tel bistrot (et des témoins sont là pour confirmer que ma fréquentation en est assidue) que ce qu’il fallait, c’est une reprise de la croissance. De quelle croissance parle-t-on ? La croissance des profits ? De la production ? Du bonheur ? Quand on vous sort la fameuse réplique, posez cette question et voyez combien peuvent vous répondre. Dans 1984, George Orwell décryptait déjà les enjeux de la terminologie : « L’objectif du novlangue est la fin du crime de pensée, en le rendant impossible. » Voilà la finalité du discours, rendre indépassable l’horizon capitaliste et libéral.

Règle d’or et MES, pour quoi faire ?

Ce mois-ci, Le monde diplomatique enquête sur les enjeux politiques de la « règle d’or » et le « mécanisme européen de stabilité ». A-t-on attendu ces deux insultes lancées à la face des peuples d’Europe pour pratiquer les politiques d’austérité dans la zone euro ? Non, la bataille se joue ailleurs.

L’intérêt essentiel de ces deux traités, c’est l’abandon de souveraineté des États membres aux profits d’organismes indépendants tels que la BCE. Les capitalistes n’aiment pas la démocratie, alors pour ne pas priver directement les peuples d’un outil d’émancipation auquel ils sont attachés, ils se content de la vider de sens.

Le jeu démocratique doit, pour le pouvoir capitaliste, se limiter au choix d’imperator godillots élus pour appliquer leurs choix antisociaux. Petit à petit, le jeu continue, mais on en change les règles. Et si les peuples se décidaient à grogner un peu trop forts, on a toujours quelques kapos en réserve pour leur apprendre à se taire à coups de schlague.

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